Tom Longboat : un coureur exceptionnel

Pour plusieurs, Tom Longboat a été l’un des meilleurs coureurs de longue distance de l’histoire du Canada. Ses exploits furent grandioses, lui permettant d’atteindre à un très jeune âge le statut de grande vedette du sport canadien. Pourtant cet athlète, tant acclamé, a dû lutter toute sa carrière contre les préjugés racistes et les stéréotypes. 

Thomas Charles Longboat

Thomas Charles Longboat est né le 4 juillet 1887 sur la réserve des Six Nations, près de Brantford, en Ontario. Il est membre de la nation Onondaga et il a grandi sur une petite ferme et durant son enfance, il a aidé à labourer la terre et à s’occuper des animaux. La ferme était pauvre et le travail était dur, surtout après le décès de son père, alors que Tom n'avait que cinq ans. Mais le jeune homme débordait d’énergie et trouvait le temps de jouer à la crosse et de courir avec son frère ainé à travers la réserve et dans la campagne voisine.

Longboat est allé à l’école jusqu’à 12 ans, puis il a commencé à travailler sur différentes fermes comme journalier. Parallèlement, il découvre une passion pour la course à pied. Son physique, mince et avec de longues jambes effilées, en faisait un athlète prédisposé pour les courses d’endurance. 

Au printemps 1905, il prend part à sa première course officielle, une épreuve de 5 milles, disputée à Caledonia, en Ontario. Bien qu'il n'ait pas gagné, il démontre un immense potentiel. Il a mené la majeure partie de la course et n'a été battu qu’à la toute fin pour prendre la deuxième place. Et surtout, Longboat capte l’attention de Bill Davis, un autre coureur des Six Nations, vice-champion du marathon de Boston en 1901.

L'expérience l'inspire à prendre la course au sérieux et à améliorer sa force et son endurance, sous l’œil attentif de Davis qui agit comme mentor.

Encore inconnu, il participe au marathon Around the Bay à Hamilton, en Ontario, en 1906, une course d’environ 30 km. À cette époque la ville de Hamilton était l’épicentre de la course sur route au Canada et son marathon était la course la plus importante. Le favori était un Anglais, John Marsh, qui avait établi plusieurs records anglais, avant d'émigrer au Canada. Peu de gens avaient entendu parler de Longboat et les chances de l’emporter étaient fixées à 100 contre 1.

Son entraînement intensif a porté ses fruits et il a triomphé par près de trois minutes d'avance sur son plus proche rival, en un peu plus d’une heure et 49 minutes. Cette victoire a fait de lui une célébrité instantanée, et il a enchaîné son succès en remportant d'autres courses de longue distance au Canada la même année.

Son prochain objectif : le marathon de Boston. Longboat était un favori pour l’édition de 1907, et il ne va pas décevoir les milliers de spectateurs massés le long du parcours. Aux deux tiers de la course, il accélère pour s’emparer de la position de tête. Il remporte l'épreuve avec un temps de 2 heures et 24 minutes, battant le record précédent par cinq minutes.

La célébrité

Ses succès font de lui un héros et il n’hésite pas à profiter de sa célébrité. Tellement qu’il est expulsé du YMCA pour avoir enfreint un couvre-feu. Mais, il se sent libéré des règles strictes d’entraînement du YMCA, surtout en ce qui attrait à la consommation d’alcool et les femmes. Longboat demande alors de rejoindre l’Irish Canadian Athletic Club, dirigé par un joyeux luron et ancien lanceur de marteaux, le flamboyant Tom Flanagan.

Ce dernier n'a jamais empêché ses athlètes de prendre un verre ou deux, ou de profiter de la compagnie des jeunes femmes, et l’ambiance plus détendue du club irlandais convient à Longboat, qui continue ses succès.

Flanagan, un habile promoteur, favorisait le sport professionnel. Idéalement, il aurait aimé voir Longboat devenir professionnel rapidement, mais les Jeux olympiques de Londres étaient dans moins d'un an, et son protégé avait de bonnes chances de monter sur le podium. Personne ne connaissait l’entente entre Flanagan et Longboat, et c'est à ce moment, que des accusations ont commencé à être faites selon lesquelles Longboat avait perdu son statut d'amateur en vivant comme un professionnel dans un hôtel appartenant à Flanagan.

Son statut d'amateur a été gravement entaché, surtout aux yeux de la New England Athletic Union qui l'a officiellement accusé d’être un professionnel.

Tom Flanagan, cependant, a réussi à convaincre les dirigeants canadiens que Longboat n'avait enfreint aucune règle, et sur la base de ses performances exceptionnelles, Longboat a été sélectionné pour courir le marathon aux Jeux olympiques. Il portait les espoirs de sa nation.

Les Jeux olympiques de Londres en 1908

Dans les semaines précédant les Jeux olympiques de Londres en 1908, Tom Longboat poursuit sa préparation et son entraînement en Irlande. Sa personnalité et son statut de favori en ont fait une figure populaire où chacun de ses faits et gestes sont rapportés par les journalistes.

Le marathon est disputé le 24 juillet par une journée chaude et humide. Le Canadien a bien couru tôt dans l’épreuve et il était en bonne position, avant de s'effondrer, sans avertissement, vers le 32e kilomètre. Il s'est relevé en titubant et il a essayé de continuer, mais il a été forcé de monter dans une voiture par les autorités médicales.

Longboat a déclaré qu'il avait été frappé par une soudaine faiblesse. Certaines personnes ont suggéré qu'il s'était surentraîné. Mais d'autres rumeurs plus sinistres, faisait état qu’il avait été drogué, peut-être même par son propre gérant, dans une affaire d’une course trafiquée pour le bénéfice de parieurs. L’accusation de corruption n'a jamais été prouvée. Et surtout, cette contre-performance olympique fait renaître les stéréotypes dont Tom Longboat est victime tout au long de sa carrière, à l’effet qu’il est un athlète « amérindien » paresseux, indiscipliné et porté sur la fête.

Carrière professionnelle

Très déçu de son expérience olympique, Longboat annonce sa retraite. Cependant, Flanagan le fait rapidement changer d'avis et le Canadien remporta de nouveau des courses importantes et établit des records nationaux. À l'automne 1908, il remporta son troisième titre consécutif au marathon Ward couru à Toronto. C'était sa dernière course en tant qu'amateur. Attiré par la promesse de prix importants, il passe dans les rangs professionnels.

Après les Jeux olympiques, deux promoteurs de New York souhaitent capitaliser sur le grand intérêt engendré par la fin controversée du marathon des Jeux olympiques de Londres, alors que l'Italien Dorando Pietri, totalement épuisé, termina la course avec l'aide d'un officiel, suivi de l'Américain Johnny Hayes. La délégation américaine protesta avec véhémence, affirmant qu'un athlète ne pouvait être aidé dans une épreuve, et finalement Hayes fut déclaré vainqueur.

Ces prompteurs organisent un championnat du monde de marathon professionnel. Ils ont engagé Dorando Pietri et Johnny Hayes pour s'affronter, et ils ont invité Longboat pour se mesurer au vainqueur. Et le gagnant de cette course, devra alors affronter le réputé coureur professionnel anglais, Alfred « Alfie » Shrubb, pour décider du championnat.

L’affrontement revanche entre Pietri et Hayes fut remporté par l’Italien, ce qui lui valait un rendez-vous contre Longboat, au Madison Square Garden de New York en décembre 1908. Le prix pour le gagnant était de 3 000 $, alors que le perdant repartait avec 2 000 $.

Pietri a dominé la majorité de la course, sans pour autant se débarrasser du tenace Longboat. Vers le 30e kilomètre, Pietri s'est soudainement effondré en bordure de la piste dans les bras de son frère Ulpiano. Le Canadien, bien que très épuisé et souffrant d’ampoules aux pieds, a réussi à compléter l’épreuve.

La grande finale entre Longboat et Alfie Shrubb se déroula le 5 février 1909, également au Madison Square Garden. Le coureur anglais Shrubb était un professionnel depuis 1906, et bien qu'il n'ait jamais parcouru la distance complète d’un marathon, il était un coureur de fond exceptionnel. Longboat devait le battre pour être vraiment reconnu comme le champion du monde.

Cependant, des rumeurs ont commencé à circuler au sujet de la piètre condition physique du Canadien. Flanagan a empiré les choses en vendant le contrat qu’il avait avec à Longboat à un autre promoteur de New York pour 2 000 $. Le Canadien, bouleversé par cette trahison, affirmant être insulté d’avoir été vendu comme du bétail.

La course débuta à neuf heures du soir devant une foule de 12 000 spectateurs déchaînés. La première moitié de la course est dominée par Alfie Shrubb, qui a porté son avance à huit tours. La foule a commencé s’impatienter contre le Canadien et même à le huer. Longboat augmenta la cadence et rétréci l’écart avec l'Anglais. À trente-deux kilomètres, il avait réduit la marge à six tours. Puis avec trois kilomètres à parcourir, il a devancé Shrubb, sous l'acclamation des spectateurs. Longboat est sacré champion professionnel du monde.

Tom Longboat a continué à courir jusqu'en 1913, non seulement en Amérique du Nord, mais aussi en Grande-Bretagne. Plusieurs de ses courses impliquaient ses anciens rivaux tels que Pietri et Shrubb. Bien qu’il ne gagnât pas toujours, Longboat était combatif, et les spectateurs l'aimaient pour cela et affluaient pour le voir. Au cours de ses trois premières saisons en tant que professionnel, on estime qu'il a gagné environ 17 000 $, une somme substantielle à l'époque.

Son après-carrière

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale a sonné le glas de la course professionnelle en tant que spectacle populaire et Longboat s'est porté volontaire pour joindre l'armée en 1916. Il a servi en France, trouvant même le temps de participer à des courses amicales contre des soldats alliées. Dans l’armé, il était chargé de transporter des messages vers différents postes du champ de bataille. À deux reprises, il est blessé. Il a été démobilisé en 1919.

Quand il est rentré au pays, il a constaté que non seulement sa femme, Lauretta, s'était remariée, mais que l'intérêt du public pour les courses professionnelles avait pratiquement disparu. Sans emploi, il était en quête de n’importe quel boulot. Les temps étaient durs et il a dû se résigner à vendre ses médailles pour survivre. Finalement, à l'âge de quarante ans, il trouva un travail permanent dans le département sanitaire de la Ville de Toronto.

Il y travailla paisiblement pendant vingt ans avant de se retirer dans la réserve des Six Nations. Tom Longboat décéda des suites d'une pneumonie, le 9 janvier 1949, à l'âge de 61 ans. De nombreuses personnes du monde du sport assistent à ses funérailles pour lui rendre un dernier hommage, notamment son compatriote William Sherring, vainqueur du marathon aux Jeux intermédiaires d'Athènes en 1906.

Son héritage

La grandeur de Tom Longboat en tant qu’athlète est désormais pleinement reconnue. Il a été honoré par le Panthéon canadiens des sports. Sa carrière est une source d'inspiration pour tous les athlètes, et depuis 1951, le prix Tom Longboat est décerné pour souligner l’excellence sportive chez les athlètes des Premières Nations.

Références

Baker, Keith. The 1908 Olympics : the first London Games. SportsBooks Ltd, 2008

Batten, Jack. The Man Who Ran Faster Than Everyone. Tundra Books, 2002

Blaikie, David. Boston, the Canadian Story. Seneca House Books, 1984

Kidd, Bruce. Tom Longboat. Fitzhenry & Whiteside, 1992.

Canada’s Sports Hall of Fame

Journal of Olympic History, volume 16, numéro 1

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